La révolution sucrée !
Depuis maintenant environ 1 an, une controverse s’agite au sein de la communauté des rums/rhums/ron : Le sucre en tant qu’additif! Aujourd’hui, les amateurs ainsi que les producteurs se retrouvent polarisés en deux camps, soit Pour ou Contre l’ajout de sucre aux spiritueux de canne à sucre.
Le débat a gagné en importance lorsque des données obtenues par des sociétés d’État de la Finlande (Alko) et la Suède (Systembolget) sur le sucre ajouté à certains rhums se sont répandues sur les médias sociaux. Il n’en fallu pas plus pour que des listes exhaustives répertoriant les marques de nos spiritueux favoris et leur contenu en sucre fassent surface. C’est cependant suite à la publication de deux articles sur le très réputé site www.floatingrumshack.com que le sujet a atteint son apogée alors que deux producteurs ont été identifiés comme porte-parole de chaque allégeance.
D’un côté on retrouvait Alexandre Gabriel (Rhums Plantation), défenseur de l’ajout de sucre au rhum qui compare la pratique à celle du dosage dans le champagne ou l’usage d’additif dans la production du cognac. De l’autre, Richard Seale (Foursquare distilleries), qui soutient mordicus que quelconque additif dénature la qualité inhérente du distillat et qu’un rhum ne devrait être que le résultat du savoir-faire d’experts et artisans ne prenant aucun raccourci.
Bien évidemment, je n’ai pas la prétention d’être détenteur de l’argument qui fera pencher la balance d’un côté ou de l’autre; ce n’est pas le but de cet article. Mon inspiration vient plutôt des points qu’on en commun les deux discours. Quelque part dans ce no man’s landconversationnel, délimitée d’un côté par le camp du « Pour » et de l’autre par le camp du « Contre », se situe mon opinion qui prône un usage minimal et contrôlé de cet additif.
Je m’explique;
Ce n’est un secret pour personne, lorsqu’on parle de spiritueux bruns, le rhum est perçu comme un choix de second ordre par le consommateur moyen et ce dût à une crise identitaire qui dure depuis des siècles. L’absence de lois de productions universelles et/ou d’une classification standardisée est à l’origine de cette« mauvaise réputation ». Certes, quelques pays (Martinique, Jamaïque, Barbades, République Dominicaine, etc.) ont établis des lois, voire un AOC, pour leurs alcools de cannes à sucre. Ceci dit, pour la majorité des pays la définition d’un rhum est on ne peut plus nébuleuse : Un spiritueux obtenu suite à la fermentation et la distillation d’un produit dérivé de la canne à sucre. Aucune mention de restriction sur le vieillissement (durée ou type de barils), le pays d’origine du produit ou l’usage d’additifs dans le processus de production. En comparaison, les distilleries de Bourbon, Scotch et Cognac sont de véritables camps militaires avec leur réglementation couvrant chacun de ces aspects et davantage. Ai-je besoin de mentionner qu’il s’agit là d’un facteur qui bénéficie grandement au prestige et à la crédibilité de ces catégories dans l’opinion publique?
La controverse entourant l’ajout de sucre aux rhums est un symptôme évident de ce manque de législations alors que son utilisation est permise sans mention d’une quantité maximale. Comme le sel, le sucre est un exhausteur de goût, qui, lorsqu’utilisé de façon appropriée, peut aider à amplifier certaines saveurs et arômes autrement imperceptibles pour le dégustateur. C’est d’ailleurs de cette manière qu’on l’utilise chez les producteurs de Cognacs qui voient leur limite d’additif fixée à 2% de leur volume. Le réel problème avec l’édulcoration de spiritueux survient lorsqu’il est utilisé en quantité excessive dans le but de masquer les imperfections du liquide ou, pire encore, à créer une illusion de vieillissement. Des distillats de qualité que l’on peut questionner qui rendus buvable grâce à l’ajout de sucre, des rhums « ambrés » laissant croire qu’ils sont vieillis alors que leur couleur est simplement dût à l’ajout de caramel, des rhums « premiums » vendus au gros prix alors qu’ils doivent une grande partie de leur caractère à un ajout de sucre frôlant les 4%; voilà toutes des situations ayant été documentées qui ont fait frissonner le sens d’éthique de plus d’un amateur.
Le bourbon et le scotch sont, sans contredit, les catégories hot présentement dans le monde des spiritueux. Par coïncidence, ni l’un ni l’autre de ces alcools n’a le droit d’utiliser d’additifs. Au Québec, la popularité de la téquila a gagné en momentum avec l’arrivée des 100% Agave en SAQ, un autre produit auquel les additifs sont proscrits. Je pose donc la question : Le rhum a-t’il vraiment besoin de l’aide du sucre pour être considéré comme potable? Personnellement, je ne crois pas!
Essentiellement, je me positionne en faveur du rhum en tant que spiritueux de qualité supérieure. Je crois que celui-ci parviendra à atteindre ce statut en cessant de permettre à certaines compagnies de faire un compromis sur la qualité de leur distillat et produit fini grâce à l’ajout excessif de sucre. Conséquemment, la réputation de la catégorie entière en bénéficiera puisque les qualités organoleptiques de ce qui se retrouvera dans nos bouteilles seront le fruit du savoir-faire des Maestro Roneros, comme on les surnomme chez nous. Je garde la porte ouverte sur l’usage de sucre comme additif, à condition que celui-ci soit minimal et contrôlé.
Bien entendu, l’émancipation de notre très cher rhum ne s’arrête pas là! D’autres sujets comme les types d’alambics utilisés, de mélasses et vesou, de vieillissement sont tout autant d’actualité…mais ce sont là des sujets pour d’autres articles!
Ceci dit, consœurs et confrères, je vous dédie ce toast : « Permettez-moi de me taire, car la véritable histoire repose dans nos verres. Salud! »*
Par Nicolas Villalon, Ambassadeur Canadien pour les rhums Brugal
(Allowme to stop talking, as in our glass rests the only story worth telling. Salud!)